Silk Way Rally 2011 >




Quelques notes sur Dakar 2012

Bon, c’était très intéressant. Pour la première fois au Dakar, ma première voiture électrique.

Et comme je lai compris, je n’étais pas le seul dans ce cas.

Je lai réalisé là-bas : chacun a son propre Dakar.

Et ce nest pas seulement une question de perceptions différentes du même événement ; cest différent pour chaque participant du processus densemble : la structure de la course, son programme, les événements, les objectifs et les résultats.

Mon Dakar

Jai vu pour la première fois cette expression dans le titre du livre de Vadim Pritulyak, « Mon Dakar. Lhistoire du rallye de toute une vie… » Et ce nest quaprès avoir été moi-même à Dakar que jai compris le vrai sens de ces deux mots : Mon Dakar.

Les mots peuvent avoir plusieurs sens mais leur sens devient spécial quand il est défini par notre propre expérience.

De : Grigorov Anton

Envoyé : le mercredi 21 décembre 2011

A : Grigorov Anton

Objet : Dakar 2012, Anton Grigorov

Bonjour,

Nous approchons de la fin de lannée 2011, ce qui signifie quil ne reste plus que quelques jours jusquau début du Dakar 2012. La course commence le 1er janvier 2012.

Dakar 2012 va traverser tout le continent sud-américain du sud-est au nord-ouest en passant par trois pays : lArgentine, le Chili et, pour la première fois, le Pérou.

Dakar 2012, cest 15 jours, un total de 8400 kilomètres y compris 4200 kilomètres d’épreuves spéciales et de liaisons, et des centaines de techniciens de support et de journalistes.

Et cette année, je ferai partie de la principale course de lannée !

Pour ceux qui ne le savent pas encore, ceci est mon premier Dakar et la deuxième course de ma vie. Mon premier rallye était le Silk Way Rally 2011 où je participais en tant que membre de l’équipe Vnesheconombank RRT (pour plus dinfo : www.withrally.com/site/2011ENG)

L’équipe Latvia ma donné lopportunité de participer au Dakar 2012. Pour la première fois dans lhistoire du rallye Dakar, cette équipe a lancé le véhicule entièrement électrique VUS, OSCar eO.

Quest-ce que l’équipe Latvia au Dakar 2012 ?

Cest une équipe internationale qui se compose de 20 personnes et de 7 véhicules dont :

-Deux VUS prêts à concourir : OSCar eO (véhicule électrique, N° 370 - Maris Saukans and Andris Dambis le concepteur du véhicule en question) et OSCar O3 (N° 467 - Anton Grigorov and Ainars Princis) ;

- Un camion DAF (N° 574 - Jean-Charles Mauri, Jean-Claude Kaket et Kaspars Dambis France, Belgique, Lettonie) ;

- Des équipages de soutien deux camions Mercedes (Haralds Ulmis, Ingus Ulmis, Kristaps Ulmis, Aldis Zarins, Kaspars Ozolins, Gunars Briedis) ;

- Deux véhicules Nissan Navaro : un véhicule technique (Arnis Mellups, Kristaps Dambis, Oleg Dorofeev) et la voiture des journalistes (Alexander Morozov, Sergey Utkin, Luka Ivo Indrands) ;

- Le chef d’équipe -Normunds Avotins.

20 personnes et il sagit seulement des membres de l’équipe qui sont directement concernés par le rallye. Mais la réalisation de ce projet est devenue possible grâce à la collaboration et au travail de quelques dizaines denthousiastes de différents pays du monde et œuvrant pour un but commun.

. (omis) ….

Lobjectif principal de l’équipe est de voir OSCar Oe à larrivée, et le mien est de me voir franchir la ligne darrivée !... avec la voiture électrique:)

Bonne année !

Que cette année vous apporte le bonheur et de nouvelles perspectives à vous et à vos proches !

Merci !

Anton Grigorov

Décembre 2011

Et voici sa Majesté Dakar.

14 épreuves, 8370 km, y compris les épreuves spéciales de 4190 km, et les liaisons de 4180 km.

443 équipages dont 178 motos, 30 quads, 161 voitures et 74 camions. 248 dentre eux (56%) ont franchi la ligne darrivée.

742 sportifs de 50 nationalités différentes (le plus jeune âgé de 20 ans et le plus vieux de 71 ans), 980 équipes de support enregistrées, 285 journalistes, 1800 médias accrédités.

210 organisateurs de transport de véhicules dont 11 hélicoptères, 12 avions, 55 camions, dinnombrables motos, bus et voitures.

2500 personnes servies quotidiennement dans les bivouacs.

Le rallye a été diffusé dans 190 pays, 1500 heures dantenne, 100 millions de visites sur la page web officielle de Dakar durant la course, et un billion de téléspectateurs dans le monde entier.

Comprenez-vous maintenant lampleur de cet événement ?

En somme, cest trois Silk Way Rallyes par le nombre des participants, sans même inclure les motocyclistes. Cest aussi trois Silk Way en termes de longueur du parcours et cinq en termes de difficulté.

Quoique, cette année, le Silk Way Rallye promet d’être beaucoup plus sérieux. Bien sûr, sans ce vieux modèle « Dakar series », les organisateurs peuvent faire nettement plus quon pourrait limaginer ! Nous verrons

Pour moi, le Silk Way Rally est la meilleure et la seule pratique que jai eue. Une fois passée l’épreuve du Silk Way Rally, on est déjà prêt pour Dakar. Et ça pourrait même être linverse. Le Silk Way Rally prendra place entre le 7 et le 13 juin 2012 avec un parcours allant de Moscou à Gelendzhik.

Pour avoir plus dinformation et de mises à jour sur le Silk Way Rally, pour suivre ses épreuves spéciales, et pour voir de superbes photos et vidéos, visitez le site http://silkwayrally.ru

L’équipe Latvia (http://driveeo.com/) a réalisé quelque chose de révolutionnaire. Un véhicule avec un système de conduite entièrement électrique est monté sur le podium de la ligne darrivée au Dakar 2012. Cest un événement mémorable.

Mon équipe a entièrement atteint lobjectif fixé, y compris un peu plus de 4000 km d’épreuves spéciales. 100 km avant de franchir pour la 13ème fois la ligne darrivée (lavant-dernier tour), le moteur de mon OSCar a dit : « Stop ! Ca suffit ! »

Durant les 29 derniers kilomètres du 14ème tour final, jai assisté à la course en spectateur avec une caméra en main.

Ce qui ma semblé le plus étrange au moment où jai quitté la course, c’était mon calme devant ce qui se passait. En effet, il semblait que jaurais dû être très déçu, mais c’était seulement dommage que nous nayons pu finir uniquement à cause dun problème de moteur et avec une si petite distance à parcourir.

De toute évidence, ma réaction sexpliquait par le fait que javais obtenu tout ce que j’étais venu chercher là. Jai réalisé mon rêve de participer au rallye Dakar.

Cependant, ça restait quand même un peu décevant. Cest comme aux Jeux Olympiques ! A présent, je comprends pourquoi ils ont inventé la devise « limportant nest pas de gagner mais de participer »…

Tout ce que je voulais à ce moment-là, c’était de soulever la voiture électrique, comme sil sagissait dun jouet, et de la remettre sur la ligne darrivée. Avec cette idée en tête, jai regardé mon équipe partir après leur avoir donné toute mon eau et ma nourriture. Ils avaient toute une nuit devant eux et 100 km d’étendues de sable presque infranchissables. Dailleurs, après environ trois heures, les organisateurs nous ont informés que les 5 ou 10 derniers kilomètres de la dernière étape ont été annulés pour tous les véhicules restants à cause du grand nombre dabandons. Peut-être mon idée sest-elle matérialisée ?

Quand je me suis enfin fait à lidée de la panne et à celle de l’échec, ma seconde pensée était : « OK, je nai pas réussi. Et maintenant quoi ? Dois-je le refaire encore ? Un autre Dakar ? Repasser tout à nouveau ! Non ! »

Mais comme disent les pilotes expérimentés, cette idée ne persiste quenviron un mois et demi. Après quoi, on ne sent même pas avec quelle passion on commence à se préparer pour le prochain Dakar Et cest précisément ce qui mest arrivé. Je projette de participer à tous les rallyes le Silk Way, Dakar et les entrainements sont déjà planifiés un an à lavance.

Vadim Pritulyak (« Khokhol », Ukraine. Participant à de multiples courses en moto à Dakar)

Quest-ce qui rassemble des gens venus des quatre coins du monde et les pousse à traverser des milliers de kilomètres dans les steppes, les montagnes, les déserts et où les attendent dinnombrables dangers ? Pourquoi souffrent-ils et supportent-ils tous les inconvénients : les repas irréguliers et le manque de sommeil ? A peu près au cinquième jour de la course, presque tout le monde se demande : « Quest-ce que je fais là ? Pourquoi ai-je besoin de tout ça ? » Mais immédiatement après la fin du rallye, tout le monde commence à se préparer pour la prochaine étape.

Cest ce que jai appelé « le syndrome de Dakar ».

Vous savez déjà comment je suis arrivée au rallye Dakar (www.withrally.com/site/2011ENG).

Alors jai décidé de demander à des amis et à des membres de l’équipe comment ils sont arrivés là.

Et je les ai questionnés sur beaucoup dautres choses liées au rallye

Membre de notre équipe - Alexander Morozov (St. Petersburg)

Comment je me suis retrouvé à Dakar ?

J’étais à Moscou pour affaires le jour où le Silk Way Rally 2011 a commencé. Mon ami Anton y participait. Bien sûr, je ne pouvais pas manquer le premier rallye de mon meilleur ami et je my suis rendu en tant que fan.

Une semaine plus tard, jai atterri à Sochi pour voir la finale.

En regardant le podium, jai eu des sentiments contradictoires : jai ressenti du bonheur pour ces bienheureux épuisés par la course mais heureux davoir passé la ligne darrivée. Jai ressenti de la fierté à l’égard de mon ami (il na pas seulement franchi la ligne darrivée comme il le voulait, il a même obtenu de bons résultats), mais il y avait également un peu denvie alors cest ça la vraie vie ? Quand vas-tu enfin la vivre pleinement ?

Après le podium, jai demandé à Anton : « Quest-ce quon fait après ? » et il a simplement répondu : « Dakar » avec un sourire. Sans même y réfléchir, jai lâché que jallais laccompagner en oubliant tous les détails. Dailleurs personne ny a pensé, y compris Anton et personne ne savait comment ça allait se passer et ce quil fallait faire. Nous avons simplement décidé de nous lancer.

Quand quelques semaines plus tard, Anton ma dit quil avait confirmé sa participation au rallye Dakar en qualité de pilote de lune des deux voitures de l’équipe Latvia, et que je pourrais avoir lhonneur de participer au Dakar comme pilote de la voiture des journalistes, je lai considéré comme quelque chose de normal même sil ny avait personne daussi heureux que moi sur terre à ce moment-là.

Il y avait beaucoup de challenges et c’était très difficile. Je savais que ce ne serait pas facile mais j’étais loin dimaginer que ça serait à ce point difficile ! Quoi quil en soit, nous avions tous confiance en nous. Dakar n’était pas une aventure aisée mais nous lavons fait et nous avons réussi.

Un soir dans un bivouac, une des légende du rallye et lun des meilleurs pilotes nous a révélé un grand secret : « Savez-vous pourquoi les gens viennent à Dakar ? Cest pour souffrir pendant deux semaines et après, le raconter pendant toute une année ! »

A ce moment-là, je lai seulement compris mais après mon retour, je lai vraiment réalisé. Ayant lhabitude de tenir un journal, après avoir rédigé un court rapport sur le Silk Way Rally 2011, jai écrit ceci au bout de 4 mois

La course, la longue course qui épuise les gens et les véhicules. Tout est poussé jusquaux limites.

Pour un temps, tout semble parfait et tout se passe comme prévu : rien ne se brise et toute l’équipe est bien. Et puis soudain, tout sarrête. Un échec après lautre. Un malheur après lautre. Pas de chance ! Ca fait très mal. Cest cruel. Et ça arrive tout le temps ! Constamment des hauts et des bas ; les montagnes russes de Dakar.

Lexpérience de Dakar est la quintessence de tout : de l’énergie, des relations et des caractères.

On commence à voir les gens sous leur véritable aspect. On voit ce qui est à lintérieur. Tout ce qui était caché et invisible en temps normal se montre et devient parfaitement clair durant la course. Cest très intéressant à observer et on ne peut le voir dans la vie de tous les jours. Seulement là-bas. Seulement là où cest dur, douloureux, là où surviennent les difficultés et les défis, au Dakar.

SUERTE

Au 9ème jour de la course, (Antofagasta-Iquique) était divisé en deux épreuves spéciales : 340 et 90 km de longueur avec une liaison de 126km.

Cest dailleurs sur cette liaison que sest écrasé le véhicule du champion du Silk Way Rally 2011, Alyosha Lopraïs. Il était vraiment lun des prétendants au podium de Dakar dans la catégorie des poids lourds. Le mécanicien de l’équipe sest tout simplement endormi au volant. Heureusement, il ny a pas eu de victimes même si les membres de l’équipage ont été sérieusement blessés et le camion hors d’état de servir et irréparable.

Quelque part au milieu de la seconde épreuve de 90 km, en pleine nuit, nous avons perdu toutes nos chances de faire partie de la légende. Nous avons dévié de notre trajectoire et foncé dans le mauvais ravin. Nous nous sommes immédiatement retrouvés en bas, du côté de locéan. Quand nous avons compris notre erreur, il était déjà trop tard. Quoique nous ayons essayé, il était impossible de remonter sur le sable.

Nous avions deux options : essayer de trouver la route vers le plateau à laveuglette ou jouer la sécurité. Nous avons essayé la première option mais après 15 km à travers les montagnes essayant de trouver les banderoles de lentrée, nous avons décidé de ne plus perdre notre temps et de foncer vers le commencement de la seconde épreuve.

A 4 heures du matin, nous étions à la ligne de départ. En labsence de tout signe ou indicateur, nous lavons trouvé avec beaucoup de difficulté et c’était pratiquement un coup de chance !

Nous avons aisément passé les 40 km qui nous étaient familiers, nous avons trouvé la bonne sortie et avons continué notre route. En chemin, nous avons dépassé la brigade des organisateurs qui était occupée à fermer le tracé…

A 7 heures du matin, nous étions au bivouac.

Cette histoire a été un test de contrôle de notre capacité à surmonter les difficultés. Après ça, nous navons presque pas dormi environs 4 autres jours.

Quand nous roulions vers notre troisième épreuve du jour, nous nous sommes arrêtés dans une station-service pour faire le plein. C’était en plein milieu de la nuit et il ny avait personne. Le jeune, qui travaillait là et qui ne parlait pas un mot danglais, nous a fait le plein de 100 litres. Je me souviens quen fermant la portière arrière de la voiture, jai vu en tomber une grosse couche de poussière formée en une journée. Il ny avait plus rien dautre.

Mais le matin suivant, au bivouac, quand je suis sorti de la voiture après y avoir passé 22 heures, jai vu que quelquun avait tracé sur la poussière de la portière arrière ce mot : « SUERTE ».

« SUERTE ». C’était ce que les autochtones nous criaient à chaque fois quand nous passions. Ce mot signifie « chance » et nous en avions sûrement besoin ce jour-là.

Dailleurs, lattitude des gens du pays face à la course et aux participants est une histoire à part. Je nai jamais rien vu de tel auparavant.

Alexander Morozov

A Dakar, je me sentais comme Gagarine. Cest quand tu passes dans un village ou que tu roules tout simplement sur la route et que tu vois des foules de gens amassés sur les bords. Et ils te souhaitent la bienvenue, à toi le pilote de course, avec des drapeaux et des posters. Imagine que tu tarrêtes à un feu rouge ou dans une station-service et il y a des enfants et des adultes qui sapprochent pour demander un autographe ou noter le numéro de la voiture. Pour la première fois de ma vie, jai signé un autographe sur la poitrine dune superbe fille ! A Mendoza, en Argentine, aux feux rouges, les gens se précipitaient sur nous et nous offraient de leau fraîche. Ils ont tous partagé leur énergie avec nous.

Je tiens à mentionner, tout particulièrement, les posters des Argentins, Chiliens et Péruviens. Ils avaient toutes sortes de posters où il y avait écrit à la main : « Fuerza Dakar », ce qui signifie « Force de Dakar ». Et jai été spécialement touché par « Russia ! » et jai bien ri en lisant : « Os daremos agua, pero plata - no! », ce qui veut dire : « Donnons-leur de leau mais pas largent ! » Et bien sûr, il y avait aussi « Suerte ».

Et tous les jours, on est entouré par une nature étonnante : des montagnes bleues, noires, vertes ; avec ou sans neige au sommet, des pampas, deux océans et, bien sûr, le désert.

Dakar restera toujours dans mon cœur, et une partie de mon cœur restera pour toujours là-bas.

Comme je lai mentionné précédemment, la seconde partie de la course était un véritable challenge, un teste dendurance. Lemploi du temps des derniers jours était à peu près le suivant :

Commencement le matin. Nous avons commencé à la fin du peloton alors nous avons toujours su quil ny avait personne derrière nous et nous avons conduit avec modération. Mais dans les dunes, l’écart a augmenté et nous avons dû trouver des alternatives à cette route à cause de la mauvaise qualité du tracé et des particularités de notre véhicule électrique. Andris Dambis a déjà résolu tous les problèmes quil a eus avec sa voiture à Dakar. Nous verrons ses résultats au Silk Way Rally cette année.

Le Silk Way Rally aura son premier véhicule électrique. Ca va être très intéressant !

Nous réalisons nos principaux défis dans la soirée. Nous nous tenons debout tous les quatre au sommet dune dune géante quelque part dans le désert dAtacama.

Il y a locéan plus loin, énorme, noir et silencieux. Et à lhorizon, un magnifique couché de soleil rougeoyant. Ca peint le ciel en rayures de couleurs différentes, du jaune rougeâtre au bleu foncé. Quelques rares nuages lointains passent et se couvrent de gris et de cramoisi. Et pour couronner le tout, sur le fond de ce paysage éternel au-dessous de nous et que nous admirons, passe un énorme avion de ligne allant à latterrissage dans la ville voisine. Et jai réalisé quil allait faire nuit dans une demi-heure et nous avions encore tant de kilomètres devant nous dans les sables les plus difficiles, la poussière et les montagnes.

Le soleil continue sa descente. Trois minutes de plus et on ne le verra plus. Il va poursuivre sa course de lautre côté de la planète où il y a mon chez moi et lhiver. Je continue à le regarder baisser et je commence à penser à ma famille. Ca me brise le cœur. Mais au lieu de dire : « Quest-ce que je fais là ? », je dis simplement : « Dieu ! Que cest magnifique ! »

Nous ouvrons nos repas emballés, mangeons la nourriture qui semble si délicieuse, buvons de leau tiède et du jus, admirons la vue, plaisantons (autant que nous pouvons) et nous décidons de ce quon va faire après : attendre laube ou continuer notre route. Et à chaque fois nous décidons de continuer à avancer, en grande partie parce que nous réalisons que si nous restons dans les sables jusqu’à laube, il y aura un grand risque que nous ne franchissions pas la ligne darrivée ou que nous narrivions pas au bivouac à temps. Cependant, il est beaucoup plus excitant de traverser ces étendues de sable.

Vers minuit, nous regardons la lune se lever. Cest clair, immense, magnifique et nous lavons longtemps attendu. Maintenant, nous pouvons voir les contours de la route ainsi que les montagnes et les dunes qui nous entourent. Ça semble plus confortable de cette manière Alors à notre rythme, nous continuons notre course, sortant souvent de la voiture, avec des câbles et des lampes en main.

Puis laube se lève. Nous commençons à aller plus vite et nous atteignons notre vitesse habituelle. Le soleil se lève. Un moment, ils brillent ensemble : la lune perdant son éclat et son pouvoir, et le soleil gagnant de plus en plus de force et d’éclat. Bien sûr, il ny a plus personne ni sur la route ni à la ligne darrivée. Iritrack émet un bip agréable après avoir repéré un autre point par satellite, et je suis heureux que nous ayons passé une nouvelle étape de la course.

Le matin, nous arrivons au bivouac pour apprendre que les leaders ont déjà commencé l’épreuve suivante ! Ils sont tous en ligne pour le départ et nous, on vient juste darriver. Nous sommes tous très fatigués et privés de sommeil mais heureux. Les membres de l’équipe sont heureux. Les mécaniciens sautent sur les voitures en nous saluant sans sarrêter : ils ont entre 30 minutes et une demi-heure pour diagnostiquer et réparer. Pendant ce temps, nous nous lavons, mangeons, et nous reposons comme nous pouvons, puis nous revenons à nouveau dans nos voitures. Devant nous, il y a toute une journée et une nouvelle nuit.

Il ny a personne derrière nous à la ligne de départ. OSCar eO, ma OsCar o3, notre camion et cest tout !

Et cest comme ça les derniers jours.

Ils ont même arrêté de nous compter parmi les participants sur le site du rallye puisque linformation sur le départ et larrivée était postée sur le site avant que nous franchissions la ligne darrivée. Ils ont rempli nos papiers de départ à la main et après, ils ont manuellement entré linformation dans le système. Beaucoup de gens au pays ont perdu notre trace.

Plus de commentaires de Vadim Pritulyak. Sur les attentes et les difficultés. Des extraits de son livre justement sur le même chemin parcouru mais en 2010.

Les jours et les événements se sont mélangés dans ma mémoire. La course sest transformée pour moi en un marathon que je courais avec les dents serrées.

Ce matin-là, nous nous sommes retrouvés à une hauteur de 4500 mètres. Dakar a passé la frontière et la prochaine étape se déroulait dans les Andes du Chili, conduisant les concurrents vers locéan pacifique à travers les sables du désert de lAtacama.

En consultant mon livre de bord avec les instruments, jai compris que la ligne darrivée était proche.

Sur le sommet de la prochaine dune se tenaient trois motocyclistes. Jai décidé de ne pas marrêter. Mon désir de franchir la ligne darrivée était plus fort que la tentation de faire une petite pause. Jai facilement grimpé la dune et je suis arrivée au niveau des trois motocyclistes et à ce moment précis, la beauté de la vue ma simplement coupé le souffle. Nous étions au sommet dune énorme dune de sable. Devant nous s’étendait à linfini limmense océan Pacifique. En bas, il y avait la bande côtière et le bivouac de Dakar. A droite du bivouac, jai vu les véhicules et les spectateurs formant un passage étroit jusqu’à la ligne darrivée.

Je me suis arrêté seulement pour un petit moment. Puis criant de toutes mes forces, jai dirigé ma moto vers la ligne darrivée. La longueur de la descente était de 2300 mètres, et la pente de plus de 30 degrés. La vitesse 140 km/h. Inoubliable !

Après cette épreuve, la liste des participants sest sensiblement raccourcie. Toute la nuit nous pouvions voir les lumières de ceux qui ont eu raison des sables et qui fonçaient vers la ligne darrivée.

Souvent avec mon fils nous nous remémorons les mécaniciens assis juste à côté autour de la table de bois et attendant deux buggies dont on navait plus aucune nouvelle. Au début, tout le monde riait en se racontant des anecdotes. Puis on sest mis à parler très bas en sirotant le café bouilli. Après, on a fini par examiner silencieusement la table de bois et ses éraflures. Mais personne nallait se coucher.

Un homme de 73 ans a tourné sa chaise de camping en direction de la montagne et jusquau matin, il fixait dans lobscurité le point où son fils et lami de celui-ci essayaient de vaincre les sables traîtres et lobscurité de la nuit dans cet insidieux désert de lAtacama.

Maris Saukans (pilote de lOSCar eO et participant à plusieurs reprises au Dakar)

Dakar. Cest quoi ? Quel est le but ? Pourquoi ? Comment ?

Ce sont les questions quon nous pose le plus souvent quand nous rentrons dune compétition.

En apparence, il semble que la réponse doive être facile mais pour moi, il est particulièrement difficile de dire la raison de ma présence là-bas. Je peux vous raconter des histoires sur différentes choses et situations qui sont arrivées durant la course ou en temps de repos. Mais cest une autre affaire que de vous lexpliquer de façon à ce que vous puissiez vraiment le comprendre. Cest simple : pour comprendre les réponses à ces questions, il vous faut avoir participé à ce genre d’événement.

Dakar nest pas le même pour tous. Chacun essaie dy arriver pour atteindre ses propres objectifs. Pour certains, cest leur job ; pour dautres, cest un hobby ou des vacances. Certains cherchent à participer au Dakar pour en apprendre plus sur eux-mêmes et répondre aux questions : Qui suis-je ? Quel est le but de mon existence ?

Dakar est comme un terrain de test, une grande école où on apprend année après année. Je peux reconnaitre ceux qui y étudient avec moi rien quen les regardant dans les yeux. Je peux le voir dans les yeux dun inconnu arrivant de Dieu sait où quil est lun dentre nous. Et quand je vois des gens comme ça, je leur souhaite de la chance et de réussir à franchir la ligne darrivée.

Le plus précieux trésor que jai reçu à Dakar est mon expérience. Cest tout ce que jai et ça nappartient qu’à moi et je peux en faire ce que bon me semble.

Ce nest pas seulement à propos de Dakar. Chaque personne a son propre Dakar ; ce qui signifie quon peut en apprendre sur soi-même à travers tout et beaucoup dautres choses.

Au cours dun rallye Dakar, en Afrique cette fois-là, en Mauritanie, nous avons eu une journée très difficile : plus de 700 km de désert. Une tempête de sable a commencé juste après que nous soyons partis et a duré de longues heures. Jai conduis plus de 14 heures. Et comme pour 80% des participants, je navais plus de carburant. Et nous étions tous chaotiquement dispersés dans le désert mauritanien à des centaines de kilomètres. Les véhicules des techniciens et des organisateurs se sont retrouvés également sans carburant. Ça a pris plus de deux jours pour rassembler tous les concurrents. La situation était très dangereuse et même critique. Les sportifs se regroupaient en 2-3 équipes se trouvant à quelques pas les unes des autres. Des gens complètement différents, venant de différents continents et parlant différentes langues étaient unis. Nous avons partagé notre dernière bouteille deau : une gorgée par heure pour chaque participant.

Notre groupe a reçu de laide seulement au bout de 40 heures.

Dakar est une médaille à deux faces. Quelques participants ne rentreront jamais chez eux. La médaille nest pas le seul but. Le but, cest de rentrer chez soi, de revenir à la vie qui nous a été donnée, dachever ce qui reste à faire. Je rentre toujours chez moi avec une victoire. Une victoire sur les dunes, sur moi-même ; avec de nouveaux amis, de nouvelles émotions, de nouveaux sentiments. En somme, avec de nouvelles expériences.

En ce qui concerne ce Dakar, c’était dur pour tout le monde. Mais seulement quatre personnes savent à quel point. Je suis toujours arrivé à franchir la ligne darrivée. Cette fois-ci, notre mission principale à tous était de faire franchir la ligne darrivée au véhicule électrique et nous lavons fait !

Au cours dune de ces nuits de « sable », le générateur qui charge la petite batterie qui, à son tour, contrôle tout le système du véhicule électrique a arrêté de fonctionner. C’était très étrange : une puissante unité avec de grandes batteries devient inutile seulement à cause de labsence dune petite batterie ! Vous contemplez ce « vaisseau spatial » et vous réalisez quil est en train de mourir. Il est jeune, en bonne santé mais dans le coma son corps fonctionne mais il reste sans mouvement, maladroitement coincé sur une dune.

Ça nous a pris plus de trois longues heures de peine. Nous avons relevé le capot de la voiture, enlevé la batterie, mis la seconde en charge ; nous avons essayé de la recharger à laide de câbles. Nous avons tout tenté mais en vain ! Il fait froid la nuit dans le désert alors nous nous asseyions à tour de rôle dans mon OSCar pour nous réchauffer. Maris sest endormi sur le sable et a dormi là pendant toute une heure. Il sest écroulé et sest roulé en boule tant il avait sommeil et froid. En se réveillant, il pouvait à peine se tenir debout et bouger ses membres tant il était gelé.

Il y a eu des moments où des pensées négatives se sont emparées de nous. Cest la fin. Il ny a plus dissue. Nous devons traîner la voiture jusqu’à la ligne darrivée ? Mais comment ? Cest impossible même avec un camion ! Cependant, nous continuions à essayer tout ce qui était en notre pouvoir.

Le mécanicien de notre équipe était Kaspars Dambis, un jeune homme amusant et intelligent, le fils dAndris Dambis, le créateur du véhicule électrique.

Quand nous avons compris que nous ne pourrons pas faire fonctionner la batterie et que la seconde ne tiendra pas plus longtemps, kaspars a enlevé le générateur et la démonté. Il la nettoyé, soigneusement assemblé et la remis en place. Ça lui a pris seulement deux heures dans le sable et dans lobscurité de la nuit ! Après quoi nous avons démarré lengin et à notre grande surprise, la batterie sest mise à charger !

Antanas Juknevicius (Lituanie)

A la fin de notre premier Dakar en 2003, notre voiture bougeait à peine. Nous en sommes arrivés à ne plus larrêter puisque nous ne pouvions plus redémarrer après. La batterie était morte et la voiture refusait de redémarrer toute seule ; il fallait recourir aux câbles pour recharger les batteries principales qui étaient complètement déchargées.

Libye. A une épreuve, il faisait déjà sombre quand nous sommes arrivés au point de contrôle. Et les organisateurs nous disaient de ne pas nous rendre à l’épreuve suivante car elle était impossible à passer la nuit.

Il y avait du sable devant nous. Il y a là-bas une région appelée Acacus, cest un labyrinthe de sable et de rochers de 3-4 mètres de hauteur. Ce qui signifie quon ne peut voir den haut le chemin quil faut prendre. Nous avons passé la journée à explorer la moindre parcelle de terrain. Bien entendu, nous avons dévié de notre course de deux kilomètres environ. Le sable est fin et collant. Nous continuons rien que pour ne pas être coincés. Tout à coup, une petite dune, on fait un saut, la voiture sarrête et le moteur tombe en panne.

Il était tard, il faisait nuit et nous étions dans ce labyrinthe. Et pas sur la route principale. Il ny avait personne derrière nous et nous ne pouvions démarrer la voiture. Nous nous sommes sentis désespérés. Mais je suis du genre à ne jamais abandonner. Jessaie toujours de faire quelque chose. Je prends une pelle et je commence à déterrer les roues de la voiture. Le copilote me demande : « Pourquoi tu fais ça ? De toute façon, la voiture ne redémarrera pas ! » Et jai dit : « Ecoute, faisons quelque chose ! Quel intérêt à rester les bras croisés ? » Et je continue à creuser tout autour de la voiture. Aurelius sest assis de côté. Que faire ? Comment sortir de là ? Nous navions aucun moyen de communiquer. C’était tout simplement effrayant.

Je nai jamais raconté ça à personne à part ma famille. Avant de commencer à creuser, jai essayé de démarrer la voiture à plusieurs reprises et je ny suis pas arrivé. La batterie était complètement à sec, elle ne faisait même pas tourner le moteur.

Quand jai fini, jai caressé la voiture et jai prié. Jai vraiment prié Dieu du fond du cœur en lui demandant son aide, quoique de ma vie, je nai jamais agi de la sorte.

Après quoi, jai repris ma place derrière le volant et jai démarré la voiture du premier coup ! Comment était-ce possible ? Nous ne le savions pas. Ce soir-là, nous avons eu le temps de sortir de ce désert, et le matin, nous étions au bivouac.

Artur Ardavichus (3ème place dans la catégorie des poids lourds ? Dakar 2012)

Comment tes-tu retrouvé à Dakar ?

Mon premier Dakar était en 2008. A l’époque, nous franchissions la ligne darrivée en tant que grande équipe du Kazakhstan dans 5 VUS. Nous Nous sommes préparés une année entière ; construisant nos voitures, investissant du temps, de largent et de l’énergie.

Quelques jours avant le commencement, nous sommes arrivés à Lisbonne. Le 3 et 4 janvier, nous avons passé linspection technique et administrative et nous avons laissé les voitures dans un parc fermé. Le jour suivant, le 5 janvier, la course devait commencer. Nous étions tous nerveux avant le départ. Le 4 janvier, nous nous sommes rendus au dernier briefing où on nous a appris que la course avait été annulée.

Cest comme au casino tu perds sans même ten rendre compte. Ou comme si tu te heurtais à une porte vitrée en te faisant vraiment mal. Tu tassieds et tu essaie de revenir à la réalité que tu ne peux influencer en aucune façon non, cest non !

Le sentiment davoir été trompé et utilisé mais tu ne sais pas par qui. Pendant trois jours, nous étions en état de choc, puis nous nous sommes concentrés sur le championnat du monde.

La fois suivante, nous avons participé au Dakar en 2011. Nous avons terminé à la 8ème place. En 2012, comme vous savez, jai remporté la médaille de bronze. Ce n’était pas du tout facile. Jai franchi la ligne de départ le 33ème. La première et la plus importante tâche, au début de la course, est de se placer en tête de celle-ci. Tout se décide dans les 60 premiers kilomètres. Nous avons pris beaucoup de risques et dépassé beaucoup de concurrents sur le sable. Nous sommes arrivés à la 4ème place. Après nous avons conduit à notre rythme.

En somme, ma course vers Dakar a commencé en 1995. Au début, à moto puis avec toutes sortes de véhicules de course. Pour réussir quelque chose, il faut vraiment le vouloir. Pour ma part, jen rêvais depuis lenfance. Ce rêve était lointain et presque irréalisable. Mais les rêves se réalisent quand nous allons au devant deux.

Avant et pendant la course, tu es toujours calme et joyeux. Tu ne tinquiète jamais ou tu caches tes sentiments ?

Ne montre jamais à personne que tu es nerveux. Etre nerveux, cest être faible. Et si tu montres ta faiblesse, tu as déjà perdu. Il faut y aller mollo.

Cest quoi « lesprit de Dakar » ?

Cest très simple. Je le sens bien environ au 5ème jour. Quand jentre dans le camion des techniciens et ils sont tous endormis. Tous nont pas eu le temps de se laver. Quelques-uns vont se coucher plus tôt à cause de la fatigue, dautres plus tard à cause de l’énorme travail quil faut accomplir.

Cest ça lesprit de Dakar. Il est unique. Quand je le ressens, je me souviens tout de suite comme tout le monde parle de lesprit de Dakar. Et je me dis : Oh, je suis sur place ! Cest là que les miracles se produisent.

Vladimir Chaguine (simplement Vladimir Gennadievich Chaguine. En janvier de cette année, il a célébré son 42ème anniversaire et son 21ème à Dakar : exactement la moitié de sa vie)

Dakar était différent en Afrique. La longueur de la route, le challenge ; tout était beaucoup plus sérieux. Les commodités étaient minimes. La douche se résumait à 1m2 sur le sable ; sur des poteaux était tendue une toile de 40 centimètres de hauteur et il y avait un seau complètement cabossé et à côté, un petit récipient pouvant contenir à peu près un verre et demi deau. Et le 5ème jour, dans cette fournaise, nous étions tous prêts hommes ou femmes à prendre une douche sur la Place Rouge. Tu es debout, tu te laves, tu verses le peu deau qui reste sur ton corps et tu es heureux.

Les gens y venaient pour échapper à la civilisation. Un minimum de confort. Cest ça lesprit de Dakar. Et ça marchait parce quaprès deux ou trois semaines, après la ligne darrivée et la fin de la course, tu rentres dans ta chambre dhôtel et vas immédiatement prendre une douche. Leau est abondante et il ny a pas besoin de compter chaque goutte. Après quoi, tu t’écroules dans ton lit aux draps blancs. Peux-tu imaginer quel regard différent tu portes sur le monde après Dakar ?

Ou imagine le petit déjeuner à la cantine ou encore le dîner, quand des gens totalement différents se rassemblent autour dune table. Ils sont de nationalités différentes, de cultures différentes. Imagine un facteur venu dun petit village de France et qui ne gagne pas beaucoup dargent. Il a rêvé depuis longtemps de Dakar, économisant de largent et il est venu en moto (bien sûr, comment pourrait-il se permettre de venir en Jeep ?) Il na pas de mécanicien ; il est seul avec une petite boîte à outils et des pièces de rechange. Il est donc venu à Dakar, a dépensé tout son argent et il en a probablement emprunté aussi. Et juste à côté de lui, il y a un Allemand, un pilote de courses professionnel. Célèbre, couvert de titres et de médailles. Il est venu à Dakar pour un salaire que son équipe lui paye. Et à côté de lui, il y a un homme daffaires des USA. Il ne sait même pas combien tout ça a coûté et peu lui importe. Son manager a réglé tous les frais pour la Jeep, le carburant. Il est simplement en vacances. Et il est assis à cette table où ils parlent tous et se trouvent des choses en commun : les mêmes centres dintérêts, thèmes et opinions. Cest lesprit de Dakar.

Antanas Juknevicius

Le sable, cest magique. Cest effrayant mais tout le monde veut le faire. Même ceux qui ne savent pas conduire sur le sable. Cest ça lexcitation de la course.

2003, le 25ème Dakar. Tunisie-Libye-Egypte.

C’était mon premier Dakar et de loin mon préféré mais aussi le plus beau et le plus excitant.

Nous avons décidé que nous irions pour mon anniversaire alors nous avons eu 6 mois pour nous préparer. C’était un pari, une aventure. Nous navions même pas de voiture à ce moment-là. Nous avons payé pour les frais dinscription et cest seulement après que nous avons commencé à penser au reste.

Nous avons acheté une voiture à 5000 dollars. C’était une vieille voiture. Imagine, nous navions personne pour nous assister et nous avons tout préparé nous-mêmes. Nous avons emporté avec nous la plupart des pièces de rechange dun poids de 500 kg sans oublier les instruments. Bien sûr, nous ne pouvions pas rouler bien vite. Le but était de finir chaque étape et de franchir la ligne darrivée.

Tout le monde nous disait que nous ny arriverions pas avec cette voiture mais j’étais sûr de moi. Je ne pouvais même pas imaginer un autre dénouement.

Nous navons pas beaucoup dormi pendant la durée de la course. Tout comme vous cette année, nous arrivions au bivouac le matin. Nous dormions debout. Nous arrivions même à trouver le temps de faire un peu de maintenance. Nous commencions chaque étape sales, le visage couvert de poussière et de saleté. Les gens ne nous reconnaissaient même plus à la fin. Nous étions pales, les cheveux ébouriffés, les vêtements sales ; nous avions lair de zombies. La liste des travaux de maintenance de la voiture ne faisaient que sallonger et le temps senvolait. Nous ne faisions plus que ce qui nous permettait davancer. Nous en sommes venus à ne plus arrêter la voiture parce quelle refusait de redémarrer et que la batterie étant morte, nous ne pouvions démarrer la voiture qu’à laide des câbles.

Bien sûr, au milieu de la course avec le copilote, nous avons commencé à échanger nos places. Lun dort pendant que lautre conduit. Autrement, aucun pilote ne tiendrait le coup physiquement. Sans copilote, tu suis simplement les traces laissées par les autres.

Une fois, nous conduisions dans le désert et il était environ 3 ou 4 heures du matin. C’était un endroit intéressant : 70-80 kilomètres d’étendue de sable parfaitement plate. Tous conduisaient le plus vite quils pouvaient. Imagine tu regardes la route et ça a lair dun couloir à cause de la lumière des phares. Tu ne peux rien voir hors de la portée des phares. Après tu as limpression de conduire dans un long tunnel sans fin. Jessayais vraiment de ne pas heurter des murs imaginaires ; je voyais réellement des murs à droite et à gauche même si, en réalité, il ny avait que du sable autour de nous.

J’étais donc tellement concentré sur la route et je continuais à conduire et là, jai vu un animal juste devant moi : un chien ou un loup. Et jessayais de ne pas tuer lanimal. Tout cela semblait si réel que je voulais en parler au copilote à mes côtés. Mais jai pensé quil valait mieux ne pas lui dire ; il penserait sans doute que je perdais la raison et ne me respecterait plus. C’était mauvais pour lesprit d’équipe.

Jai continué à conduire avec limage de ces murs et de cet animal devant moi. Finalement, jai décidé de le lui dire. Je ne pouvais plus y tenir et jai dit : « Tu sais, je comprendrais si tu pensais quil y a quelque chose qui cloche avec moi, mais je conduis dans un tunnel et il y a un chien devant moi. Je ralentis même parfois pour ne pas le heurter. » Sur ce, il me répond : « Tu sais, ça fait à peu près une heure que je vois le tunnel et le chien, mais javais peu de te le dire et que tu penses que je suis devenu fou. »

La situation nous avait beaucoup rapprochés, au point de nous faire partager la même hallucination.

Après la fin de la course, nous navons même pas célébré l’événement. A lhôtel, nous sommes allés directement au lit où nous nous sommes écroulés. Jai dormi 2 jours et demi sans interruption et ne me suis réveillé que 4 heures avant le vol.

Bien entendu, lidée de participer au Dakar n’était pas spontanée. Dakar est un rêve pour beaucoup de gens, pas seulement pour les pilotes mais aussi pour les fans. Pour moi, Dakar est comme lEverest pour un alpiniste. Le conquérir et être au sommet de la planète est un but digne d’être poursuivi.

Morozov

Chaque jour, je faisais quelque chose pour la toute première fois dans ma vie : jai lavé la voiture avec un Karcher, conduit sur le sable, jai même été coincé dans le sable. Jai vu des couchers de soleil dans le désert. Confus, jai conduit sur le tracé de la course avec un poids lourd à mes trousses, ou encore un buggy noir, sorti de nulle part, me fonçait droit dessus. Jai conduit sans filtre de carburant quand tout le capot était couvert dhuile diesel et javais peur que la voiture explose, et avec elle tout le bivouac, ce qui ferait de moi un nouvel Erostrate. Ma batterie est tombée en panne ; je ne pouvais donc plus traverser les Andes à la frontière de lArgentine et du Chili. J’étais dépassé par tout le monde en me dirigeant vers la montagne à une vitesse de 20km/h. et derrière moi, il y avait de gros nuages de fumée noire et cest là que je me suis rendu célèbre auprès de tous les participants du rallye : je roulais derrière le poids lourd de Harris.

Les trois premiers jours du Dakar, jessayais de comprendre le rôle que je devais jouer dans cette compétition. L’équipe est un mécanisme dont les membres sont parfaitement reliés et en harmonie et où chacun connaît sa place et le rôle quil devra jouer à chaque instant. Et moi, étant journaliste et pour la première fois au Dakar, je navais aucune idée de ce que j’étais supposé faire, spécialement dans les bivouacs. La seule chose que javais bien saisi, cest quil ne fallait pas gêner les autres !

Anton ma beaucoup aidé. Il a vu ma confusion par rapport au fait que je n’étais pas « un vrai participant » et ma dit : « Tu es au raid ! Il test permis de faire tout ce que tu veux ! » Et là, tout est soudain devenu plus facile, plus clair et jai commencé à faire ce quil fallait et ça réussissait.

Dakar ma donné quatre héros personnels : Anton, Ainars, Maris et Andris, les deux équipages de mon équipe.

Jai roulé 10 500 km sur des routes publiques, dun bivouac à un autre, passant sur les tracés de la course par des rampes spéciales.

C’était dur parce que chaque jour, nous devions faire un certain nombre de kilomètres, mais c’était sur de bonnes routes et on pouvait sarrêter et se reposer. Nous étions privés de sommeil : je dormais une à cinq heures par nuit ; dormir cinq heures, c’était le bonheur !

Mais ces gars, que ne faisaient-ils pas ? Chaque jour, ils passaient entre 300 et 650km d’épreuves ; c’était des rochers, des lits de rivières, des dunes de la taille dune montagne. Et il ne sagissait pas seulement de passer tout ça, mais de franchir la ligne darrivée dans les temps, ce qui signifie quils étaient pressés ! Et le marathon des cinq dernières étapes ! Cinq jours sans dormir même la nuit ! arriver aux limites et seulement avancer, avancer et avancer !

C’était impressionnant de voir les gens souriants et calmes.

Quand je leur ai demandé : « Comment faites-vous pour ne pas dormir si longtemps ? » Ils mont répondu : « Le plus important est de dépasser les liaisons, puis au cours des épreuves, lexpérience est telle quon en oublie de dormir ! »

Quand tu le vois de près, tu te demandes : « Est-ce que je peux le faire ? » Peut-être que je peux ! Mais cest là quest la différence : JE PEUX, et ils lont FAIT !

Fedor Sulimov

Lavion descend, volant à travers un voile de nuages et je vois la bande du rivage : sable gris, et quelquefois des groupes de petites constructions en carton.

Les villes. Plus tard, je me demanderai bien des fois ce que les gens font dans des endroits pareils, et comment ils vivent. « La Femme des dunes » de Kôbô Abe me revient en mémoire cest le même désespoir. Au-dessous de nous, le Pérou anciennes civilisation, culture et architecture et je me surprends à penser que je nai jamais eu loccasion de travailler dans ce pays. Tous les voisins : Le Venezuela, lEcuador, la Colombie, le Chili et la Bolivie, dune façon ou dune autre, faisaient partie de mon travail. Mais jamais le Pérou. A chaque fois que je venais dans ce pays, j’étais poussé par le désir de faire quelque chose pour moi-même : escalader les montagnes, les longues marches. Tout cela était lié à des raisons personnelles. A chaque fois que je montais dans un avion à destination de Lima, c’était pour moi que je le faisais.

Le long du rivage apparaissent les installations portuaires, les réservoirs de pétrole. On va bientôt atterrir.

Je crois que cest au début des années 70 que remontent mes premiers souvenirs denfance, les premiers souvenirs vagues de lenfance. Pour un enfant, il est impossible dimaginer et d’évaluer toute cette grisaille qui nous entoure, mais cette grisaille était peut-être la raison latente qui nous poussait à inventer toutes sortes damusements : nous collectionnions les emballages de bonbons, des chewing-gums, et toutes sortes de bouts de papier aux couleurs vives. Pour nous, c’était tout simplement les illustrations dune autre vie, une vie de lautre côté de la vitre. Javais aussi une petite valise pleine de cartes postales mais pas nimporte lesquelles ! C’était des cartes postales venues de l’étranger. Lignes de lumière capturées à la vitesse dobturation de voitures dans des villes inconnues, des rues et des boulevards que je navais jamais vus auparavant. Papier glacé. Javais lhabitude den faire un tapis sur le parterre de notre appartement de Moscou et de me perdre dans des rêveries sans fin. Je ne me rappelle plus de mes jouets mais je me rappelle ces cartes postales. Je ne me souciais guère de ce quil y avait de lautre côté de ces cartes ni en quelle langue c’était : je pouvais à peine lire le russe à l’époque. Doù elles venaient navait pas plus dimportance. C’était simplement un monde de contes de fées devant moi.

Dix ans plus tôt je n’étais même pas encore au monde. LAfrique. La révolution socialiste au Mali, la lutte pour linfluence politique dans un pays dont personne navait besoin avait mené à la confrontation de deux systèmes distincts. Le nouveau gouvernement rejette la colonisation française et implante une politique de rapprochement avec lURSS. Beaucoup dexperts soviétiques de différentes spécialités sont envoyés dans le pays. La France nabandonne pas. A Bamako, la colonie des citoyens soviétiques sagrandit ; lURSS envoie ses ingénieurs et linguistes en Afrique. Bien entendu, les jeunes se rencontrent et tombent amoureux. Elle une jeune fille, représentante du Sovzagrstroy. Lui un Français, ingénieur militaire. Ils étaient tous deux dans un pays étranger. Une histoire damour comme tant dautres, de celles qui arrivent maintenant et qui arrivaient aussi avant. Seulement c’était il y a 50 ans, et à l’époque, lidéologie se mêlait toujours des relations amoureuses. A la fin de sa mission, elle a dû retourner en URSS. Non, rien de grave nest arrivé, seulement un transfert de Sovzagrstroy à Mosproject et plus de possibilité pour quitter le pays. La routine habituelle.

A l’époque, les lettres qui étaient envoyées de l’étranger en URSS étaient toujours ouvertes, et ces lettres ouvertes narrivaient presque jamais à destination. Un message sur une carte postale avait nettement plus de chance de parvenir à ladresse indiquée, mais une petite lettre postale n’était pas suffisante pour exprimer les pensées que deux personnes peuvent partager. Cette histoire a continué pendant 20 ans ! 20 ans de petits messages sur des cartes postales, et cest lorigine de mon tapis aux couleurs vives.

20 ans puis tout sest arrêté. Le 14 janvier 1986 à 7:30, temps local à Mali, Afrique. Pendant le rallye Paris-Alger-Dakar, lhélicoptère des organisateurs sest crashé sur une dune. Rien d’étrange ; ce sont des choses qui arrivent. Mais les cartes postales ne sont plus jamais arrivées. Cest comme ça que Dakar est entré dans ma vie.

Ça fait 25 ans que jai fini l’école. Jai servi et travaillé dans différentes parties du monde ; les frontières nexistent plus depuis longtemps. Jai de la famille, un travail, des hobbies partout et je vis dans les avions. Jai moi-même fini une école de photographie et je sais comment on crée les traits de lumière. Ce nest plus un mystère pour moi. Tout a changé.

Lavion atterrit et je traverse laéroport sans même lire les indications. Je sais exactement où je vais. Dans une heure, lavion de Yulia arrive de Paris. Je vais lattendre puis nous irons ensemble à la rencontre du Dakar. Elle ira voir son mari et moi, un ami.

Le sable chaud. Nous attendons le véhicule électrique OSCar à la ligne darrivée. La dernière étape. Anton est couché sur le sable et contemple le ciel. La nuit dernière, au cours de lavant-dernière étape, sa voiture est tombée en panne. Je ne my connais pas en mécanique alors je ne peux pas vous dire exactement ce qui est arrivé. Je sais seulement que la voiture ne pouvait pas être réparée. Il ne restait quune dernière petite étape. Lhomme peut tout endurer mais pas la machine.

Maintenant jai cette photo dAnton couché sur le sable et contemplant le ciel.

Pourquoi ai-je besoin de Dakar ? Jai mon propre Dakar. Après de longues années passées à escalader les montagnes, je sens le même esprit, la même excitation au Dakar. Cest qui nous manque dans notre vie.

Cest comme dans la chanson de Vladimir Vysotsky :

« Dans lagitation des villes et le trafic des voitures

Nous revenons il ny a nulle part où aller !

Nous descendons des sommets conquis

Laissant nos cœurs dans les montagnes. »

Je connais cette sensation. Année 2003. Pérou, Alpamayo, un des plus beaux pics. La montagne. 150 mètres de haut, le camp est à 500 mètres derrière. Le sommet et le camp sont reliés par un parcours difficile fait de glace et de fissures ; un long et laborieux travail. Le soleil, le petit matin et la neige brillante. 150 mètres pour atteindre le sommet un travail de 2 heures, 2 heures de travail final, de ce travail commencé un an avant lascension. 150 mètres et il ny a rien pour saccrocher : la qualité de la glace et de la neige est mauvaise. Après avoir échangé quelques mots avec mon ami Chilien, nous commençons à redescendre. Je nhésite pas et je suis sûr davoir fait tout ce que je pouvais. Je regarde le sommet et il semble juste à portée de la main, mais nous descendons déjà. Cependant je suis heureux ; je suis sûr davoir fait le bon choix.

La voiture de Maris et dAndris ralentit, ils embarquent Anton et tous ensemble, ils franchissent la ligne darrivée dans la voiture de Maris. Cest une victoire ! Ils vont conduire jusquau podium de Lima ensemble et ils seront heureux. Cest leur victoire ! Ils ont remporté la victoire ensemble, ils ont tout fait pour ça, et toute l’équipe a gagné. Je regarde Anton. Il a tout fait comme il le voulait. Sa victoire personnelle sera pour le prochain Dakar.

Il faut passer le Dakar à sa propre manière, avec ses propres sentiments. Il faut passer son Dakar pour soi-même.

Yulia Grigorova

10 heures que je suis avec les autres à attendre Anton. Pendant lattente, jai discuté de tout avec les mécaniciens. Nous avons pris un café puis un thé, et encore un café, puis un autre thé. C’était interminable. Le temps s’écoulait si lentement !

Les gars me racontaient comment les équipages sen sortaient et quils avaient tant de nuits blanches. Jai eu peur et pitié deux. Jai ressenti de la fierté et du respect pour ceux qui avaient relevé le défi et j’étais fière de mon héros.

Le bivouac avait lair dune chaudière remplie dune potion bouillante. Une potion faite dhommes. Un monde fait exclusivement dhommes et où il ny avait pas de place pour la faiblesse, la colère et lhypocrisie.

« Va te coucher. Ils ne rentreront pas de sitôt ! », me dit Haris. Alors jai abandonné après de longues heures de torture. Il était à peu près 2heures du matin. Il ne restait plus que deux heures. A travers le bruit des générateurs constamment en marche, les conversations et le bruit des voitures, jai entendu arriver notre équipe.

Je pouvais tout lire dans les yeux dAnton, ces yeux que jaime tant. Ses yeux fatigués mais brillants me racontaient tout ce qui s’était déroulé là-bas. Douleur, patience, peur, danger, déception, colère, joie tout y était !

Une fois, jai vu un musher choisir des chiens pour son équipe. Même si un chien vient juste de rentrer à la maison et quil est fatigué, il est malgré tout prêt à partir au moment où il voit son maître qui sapprête à commencer son voyage. Peu importe ce qui pourrait arriver, il ny a quun seul chemin et cest droit devant. Il faut passer tous les obstacles. C’était pareil dans cette course dhommes.

Aux temps où lhomme allait à la guerre pour conquérir de nouvelles terres, se battre pour lhonneur, défendre sa famille ou sa tribu, son pays nallait nulle part mais il se transformait. Dakar ressemble à une histoire tirée dun film. Je me suis sentie heureuse pour tous les participants.

Dieu merci, nous avons des hommes ! Et nos représentations du rêve sont différentes !

Quelques mots sur le rallye. Si ton équipe lavait franchie, tu ne serais pas le même que maintenant et cette histoire aurait aussi été différente. Souviens-toi : chaque chose en son temps !

Bonne chance à toi pour le prochain Silk Way et pour Dakar !

Je taime.

Jai cru qu’à la fin, jallais remercier chacun en citant son nom mais quand jai commencé à le faire, jai réalisé que je ne pourrais plus marrêter et que c’était impossible de mentionner tous les noms. La liste est bien trop longue.

Cest pourquoi je dis simplement MERCI à tout le monde et à chacun !

Jai atteint mon objectif principal du Dakar 2012. Mission accomplie !

Je me suis fixé de nouveaux objectifs pour le Silk Way 2012 et le Dakar 2013. Ce sera intéressant.

Bonne chance à nous tous !

Thierry Sabin, le fondateur de Dakar, mort en 1986 à 36 ans quand son hélicoptère sest crashé au cours du 8ème Dakar, disait que ce rallye est :

« Un défi pour ceux qui osent, un rêve pour ceux qui restent. »

Et cette devise ne concerne pas seulement Dakar

Maintenant je le sais.

Merci.

Anton Grigorov

Juin 2012.